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_ Loin dans les profondeurs, hors des nuits, hors du flot,
Dans un ecartement de nuages, qui laisse
Voir au-dessus des mers la celeste allegresse,
Un point vague et confus apparait; dans le vent,
Dans l'espace, ce point se meut; il est vivant,
Il va, descend, remonte; il fait ce qu'il veut faire;
Il approche, il prend forme, il vient; c'est une sphere,
C'est un inexprimable et surprenant vaisseau,
Globe comme le monde, et comme l'aigle oiseau;
C'est un navire en marche. Ou? Dans l'ether sublime!
Reve! on croit voir planer un morceau d'une cime;
Le haut d'une montagne a, sous l'orbe etoile,
Pris des ailes et s'est tout a coup envole?
Quelque heure immense etant dans les destins sonnee,
La nuit errante s'est en vaisseau faconnee?
La Fable apparait-elle a nos yeux decevants?
L'antique Eole a-t-il jete son outre aux vents?
De sorte qu'en ce gouffre ou les orages naissent,
Les vents, subitement domptes, la reconnaissent?
Est-ce l'aimant qui s'est fait aider par l'eclair
Pour batir un esquif celeste avec de l'air?
Du haut des clairs azurs vient-il une visite?
Est-ce un transfigure qui part et ressuscite,
Qui monte, delivre de la terre, emporte
Sur un char volant fait d'extase et de clarte,
Et se rapproche un peu par instants pour qu'on voie,
Du fond du monde noir, la fuite de sa joie?
Ce n'est pas un morceau d'une cime; ce n'est
Ni l'outre ou tout le vent de la Fable tenait,
Ni le jeu de l'eclair; ce n'est pas un fantome
Venu des profondeurs aurorales du dome;
Ni le rayonnement d'un ange qui s'en va,
Hors de quelque tombeau beant, vers Jehovah;
Ni rien de ce qu'en songe ou dans la fievre on nomme.
Qu'est-ce que ce navire impossible? C'est l'homme.
C'est la grande revolte obeissante a Dieu!
La sainte fausse clef du fatal gouffre bleu!
C'est Isis qui dechire eperdument son voile!
C'est du metal, du bois, du chanvre et de la toile,
C'est de la pesanteur delivree, et volant;
C'est la force alliee a l'homme etincelant,
Fiere, arrachant l'argile a sa chaine eternelle;
C'est la matiere, heureuse, altiere, ayant en elle
De l'ouragan humain, et planant a travers
L'immense etonnement des cieux enfin ouverts!
Audace humaine! effort du captif! sainte rage!
Effraction enfin plus forte que la cage!
Que faut-il a cet etre, atome au large front,
Pour vaincre ce qui n'a ni fin, ni bord, ni fond,
Pour dompter le vent, trombe, et l'ecume, avalanche?
Dans le ciel une toile et sur mer une planche.
Jadis des quatre vents la fureur triomphait;
De ces quatre chevaux echappes l'homme a fait
L'attelage de son quadrige;
Genie, il les tient tous dans sa main, fier cocher
Du char aerien que l'ether voit marcher;
Miracle, il gouverne un prodige.
Char merveilleux! son nom est Delivrance. Il court
Pres de lui le ramier est lent, le flocon lourd;
Le daim, l'epervier, la panthere
Sont encor la, qu'au loin son ombre a deja fui;
Et la locomotive est reptile, et, sous lui,
L'hydre de flamme est ver de terre.
Une musique, un chant, sort de son tourbillon.
Ses cordages vibrants et remplis d'aquilon
Semblent, dans le vide ou tout sombre,
Une lyre a travers laquelle par moment
Passe quelque ame en fuite au fond du firmament
Et melee aux souffles de l'ombre.
Car l'air, c'est l'hymne epars; l'air, parmi les recifs
Des nuages roulant en groupes convulsifs,
Jette mille voix etouffees;
Les fluides, l'azur, l'effluve, l'element,
Sont toute une harmonie ou flottent vaguement
On ne sait quels sombres Orphees.
Superbe, il plane avec un hymne en ses agres;
Et l'on croit voir passer la strophe du progres.
Il est la nef, il est le phare!
L'homme enfin prend son sceptre et jette son baton.
Et l'on voit s'envoler le calcul de Newton
Monte sur l'ode de Pindare.
Le char haletant plonge et s'enfonce dans l'air,
Dans l'eblouissement impenetrable et clair,
Dans l'ether sans tache et sans ride;
Il se perd sous le bleu des cieux demesures;
Les esprits de l'azur contemplent effares
Cet engloutissement splendide.
Il passe, il n'est plus la; qu'est-il donc devenu?
Il est dans l'invisible, il est dans l'inconnu;
Il baigne l'homme dans le songe,
Dans le fait, dans le vrai profond, dans la clarte,
Dans l'ocean d'en haut plein d'une verite
Dont le pretre a fait un mensonge.
Le jour se leve, il va; le jour s'evanouit,
Il va; fait pour le jour, il accepte la nuit.
Voici l'heure des feux sans nombre;
L'heure ou, vu du nadir, ce globe semble, ayant
Son large cone obscur sous lui se deployant,
Une enorme comete d'ombre.
La brume redoutable emplit au loin les airs.
Ainsi qu'au crepuscule on voit, le long des mers,
Le pecheur, vague comme un reve,
Trainant, dernier effort d'un long jour de sueurs,
Sa nasse ou les poissons font de pales lueurs,
Aller et venir sur la greve.
La Nuit tire du fond des gouffres inconnus
Son filet ou luit Mars, ou rayonne Venus,
Et, pendant que les heures sonnent,
Ce filet grandit, monte, emplit le ciel des soirs,
Et dans ses mailles d'ombre et dans ses reseaux noirs
Les constellations frissonnent.
L'aeroscaphe suit son chemin; il n'a peur
Ni des pieges du soir, ni de l'acre vapeur,
Ni du ciel morne ou rien ne bouge,
Ou les eclairs, luttant au fond de l'ombre entre eux,
Ouvrent subitement dans le nuage affreux
Des cavernes de cuivre rouge.
Il invente une route obscure dans les nuits;
Le silence hideux de ces lieux inouis
N'arrete point ce globe en marche;
Il passe, portant l'homme et l'univers en lui;
Paix! gloire! et, comme l'eau jadis, l'air aujourd'hui
Au-dessus de ses flots voit l'arche.
Le saint navire court par le vent emporte
Avec la certitude et la rapidite
Du javelot cherchant la cible;
Rien n'en tombe, et pourtant il chemine en semant;
Sa rondeur, qu'on distingue en haut confusement,
Semble un ventre d'oiseau terrible.
Il vogue; les brouillards sous lui flottent dissous;
Ses pilotes penches regardent, au-dessous
Des nuages ou l'ancre traine,
Si, dans l'ombre, ou la terre avec l'air se confond,
Le sommet du mont Blanc ou quelque autre bas-fond
Ne vient pas heurter sa carene.
La vie est sur le pont du navire eclatant.
Le rayon l'envoya, la lumiere l'attend.
L'homme y fourmille, l'homme invincible y flamboie.
Point d'armes; un fier bruit de puissance et de joie;
Le cri vertigineux de l'exploration!
Il court, ombre, clarte, chimere, vision!
Regardez-le pendant qu'il passe, il va si vite!
Comme autour d'un soleil un systeme gravite,
Une sphere de cuivre enorme fait marcher
Quatre globes ou pend un immense plancher;
Elle respire et fuit dans les vents qui la bercent;
Un large et blanc hunier horizontal, que percent
Des trappes, se fermant, s'ouvrant au gre du frein,
Fait un grand diaphragme a ce poumon d'airain;
Il s'impose a la nue ainsi qu'a l'onde un liege;
La toile d'araignee humaine, un vaste piege
De cordes et de noeuds, un enchevetrement
De soupapes que meut un cable ou court l'aimant,
Une embuche de treuils, de cabestans, de moufles,
Prend au passage et fait travailler tous les souffles;
L'esquif plane, encombre d'hommes et de ballots,
Parmi les arcs-en-ciel, les azurs, les halos,
Et sa course, echeveau qui sans fin se devide,
A pour point d'appui l'air et pour moteur le vide;
Sous le plancher s'etage un chaos regulier
De ponts flottants que lie un tremblant escalier;
Ce navire est un Louvre errant avec son faste;
Un fil le porte; il fuit, leger, fier, et si vaste,
Si colossal, au vent du grand abime clair,
Que le Leviathan, rampant dans l'apre mer,
A l'air de sa chaloupe aux tenebres tombee,
Et semble, sous le vol d'un aigle, un scarabee
Se tordant dans le flot qui l'emporte, tandis
Que l'immense oiseau plane au fond d'un paradis.
Si l'on pouvait rouvrir les yeux que le ver ronge,
Oh! ce vaisseau, construit par le chiffre et le songe,
Eblouirait Shakspeare et ravirait Euler!
Il voyage, Delos gigantesque de l'air,
Et rien ne le repousse et rien ne le refuse;
Et l'on entend parler sa grande voix confuse.
Par moments la tempete accourt, le ciel palit,
L'autan, bouleversant les flots de l'air, emplit
L'espace d'une ecume affreuse de nuages;
Mais qu'importe a l'esquif de la mer sans rivages?
Seulement, sur son aile il se dresse en marchant;
Il devient formidable a l'abime mechant,
Et dompte en fremissant la trombe qui se creuse.
On le dirait conduit dans l'horreur tenebreuse
Par l'ame des Leibniz, des Fultons, des Keplers;
Et l'on croit voir, parmi le chaos plein d'eclairs,
De detonations, d'ombre et de jets de soufre,
Le sombre emportement d'un monde dans un gouffre.
Qu'importe le moment? qu'importe la saison?
La brume peut cacher dans le bleme horizon
Les Saturnes et les Mercures;
La bise, conduisant la pluie aux crins epars,
Dans les nuages lourds grondant de toutes parts
Peut tordre des hydres obscures;
Qu'importe? il va. Tout souffle est bon; simoun, mistral!
La terre a disparu dans le puits sideral,
Il entre au mystere nocturne,
Au-dessus de la grele et de l'ouragan fou,
Laissant le globe en bas dans l'ombre, on ne sait ou,
Sous le renversement de l'urne.
Intrepide, il bondit sur les ondes du vent;
Il se rue, aile ouverte et a proue en avant,
Il monte, il monte, il monte encore,
Au dela de la zone ou tout s'evanouit,
Comme s'il s'en allait dans la profonde nuit
A la poursuite de l'aurore!
Calme, il monte ou jamais nuage n'est monte;
Il plane a la hauteur de la serenite,
Devant la vision des spheres;
Elles sont la, faisant le mystere eclatant,
Chacune feu d'un gouffre, et toutes constatant
Les enigmes par les lumieres.
Andromede etincelle, Orion resplendit;
L'essaim prodigieux des Pleiades grandit;
Sirius ouvre son cratere;
Arcturus, oiseau d'or, scintille dans son nid;
Le Scorpion hideux fait cabrer au zenith
Le poitrail bleu du Sagittaire.
L'aeroscaphe voit, comme en face de lui,
La-haut, Aldebaran par Cephee ebloui,
Persee, escarboucle des cimes,
Le chariot polaire aux flamboyants essieux,
Et, plus loin, la lueur lactee, o sombres cieux,
La fourmiliere des abimes!
Vers l'apparition terrible des soleils,
Il monte; dans l'horreur des espaces vermeils,
Il s'oriente, ouvrant ses voiles;
On croirait, dans l'ether ou de loin on entend,
Que ce vaisseau puissant et superbe, en chantant,
Part pour une de ces etoiles;
Tant cette nef, rompant tous les terrestres noeuds,
Volante, et franchissant le ciel vertigineux,
Reve des blemes Zoroastres,
Comme effrenee au souffle insense de la nuit,
Se jette, plonge, enfonce et tombe et roule et fuit
Dans le precipice des astres!
Ou donc s'arretera l'homme seditieux?
L'espace voit, d'un oeil par moment soucieux,
L'empreinte du talon de l'homme dans les nues;
Il tient l'extremite des choses inconnues;
Il epouse l'abime a son argile uni;
Le voila maintenant marcheur de l'infini.
Ou s'arretera-t-il, le puissant refractaire?
Jusqu'a quelle distance ira-t-il de la terre?
Jusqu'a quelle distance ira-t-il du destin?
L'apre Fatalite se perd dans le lointain;
Toute l'antique histoire affreuse et deformee
Sur l'horizon nouveau fuit comme une fumee.
Les temps sont venus. L'homme a pris possession
De l'air, comme du flot le grebe et l'alcyon.
Devant nos reves fiers, devant nos utopies
Ayant des yeux croyants et des ailes impies,
Devant tous nos efforts pensifs et haletants,
L'obscurite sans fond fermait ses deux battants;
Le vrai champ enfin s'offre aux puissantes algebres;
L'homme vainqueur, tirant le verrou des tenebres,
Dedaigne l'ocean, le vieil infini mort.
La porte noire cede et s'entre-baille. Il sort!
O profondeurs! faut-il encor l'appeler l'homme?
L'homme est d'abord monte sur la bete de somme;
Puis sur le chariot que portent des essieux;
Puis sur la frele barque au mat ambitieux;
Puis quand il a fallu vaincre l'ecueil, la lame,
L'onde et l'ouragan, l'homme est monte sur la flamme;
A present l'immortel aspire a l'eternel;
Il montait sur la mer, il monte sur le ciel.
L'homme force le sphinx a lui tenir la lampe.
Jeune, il jette le sac du vieil Adam, qui rampe,
Et part, et risque aux cieux, qu'eclaire son flambeau,
Un pas semblable a ceux qu'on fait dans le tombeau;
Et peut-etre voici qu'enfin la traversee
Effrayante, d'un astre a l'autre, est commencee!
Stupeur! se pourrait-il que l'homme s'elancat?
O nuit! se pourrait-il que l'homme, ancien forcat,
Que l'esprit humain, vieux reptile,
Devint ange et, brisant le carcan qui le mord,
Fut soudain de plain-pied avec les cieux? La mort
Va donc devenir inutile!
Oh! franchir l'ether! songe epouvantable et beau!
Doubler le promontoire enorme du tombeau!
Qui sait?--toute aile est magnanime,
L'homme est aile,--peut-etre, o merveilleux retour!
Un Christophe Colomb de l'ombre, quelque jour,
Un Gama du cap de l'abime,
Un Jason de l'azur, depuis longtemps parti,
De la terre oublie, par le ciel englouti,
Tout a coup sur l'humaine rive
Reparaitra, monte sur cet alerion,
Et, montrant Sirius, Allioth, Orion,
Tout pale, dira: J'en arrive!
Ciel! ainsi, comme on voit aux voutes des celliers
Les noirceurs qu'en rodant tracent les chandeliers,
On pourrait, sous les bleus pilastres,
Deviner qu'un enfant de la terre a passe,
A ce que le flambeau de l'homme aurait laisse
De fumee au plafond des astres!
Pas si loin! pas si haut! redescendons. Restons
L'homme, restons Adam; mais non l'homme a tatons,
Mais non l'Adam tombe! Tout autre reve altere
L'espece d'ideal qui convient a la terre.
Contentons-nous du mot: meilleur! ecrit partout.
Oui, l'aube s'est levee.
Oh! ce fut tout a coup
Comme une eruption de folie et de joie,
Quand, apres six mille ans dans la fatale voie,
Defaite brusquement par l'invisible main,
La pesanteur, liee au pied du genre humain,
Se brisa; cette chaine etait toutes les chaines!
Tout s'envola dans l'homme, et les fureurs, les haines,
Les chimeres, la force evanouie enfin,
L'ignorance et l'erreur, la misere et la faim,
Le droit divin des rois, les faux dieux juifs ou guebres,
Le mensonge, le dol, les brumes, les tenebres,
Tomberent dans la poudre avec l'antique sort,
Comme le vetement du bagne dont on sort.
Et c'est ainsi que l'ere annoncee est venue,
Cette ere qu'a travers les temps, epaisse nue,
Thales apercevait au loin devant ses yeux;
Et Platon, lorsque, emu, des spheres dans les cieux
Il ecoutait les chants et contemplait les danses.
Les etres inconnus et bons, les providences
Presentes dans l'azur ou l'oeil ne les voit pas,
Les anges qui de l'homme observent tous les pas,
Leur tache sainte etant de diriger les ames
Et d'attiser, avec toutes les belles flammes,
La conscience au fond des cerveaux tenebreux,
Ces amis des vivants, toujours penches sur eux,
Ont cesse de fremir et d'etre, en la tourmente
Et dans les sombres nuits, la voix qui se lamente.
Voici qu'on voit bleuir l'ideale Sion.
Ils n'ont plus d'oeil fixe sur l'apparition
Du vainqueur, du soldat, du fauve chasseur d'hommes.
Les vagues flamboiements epars sur les Sodomes,
Precurseurs du grand feu devorant, les lueurs
Que jette le sourcil tragique des tueurs,
Les guerres, s'arrachant avec leur griffe immonde
Les frontieres, haillon difforme du vieux monde,
Les battements de coeur des meres aux abois,
L'embuscade ou le vol guettant au fond des bois,
Le cri de la chouette et de la sentinelle,
Les fleaux, ne sont plus leur alarme eternelle.
Le deuil n'est plus mele dans tout ce qu'on entend;
Leur oreille n'est plus tendue a chaque instant
Vers le gemissement indigne de la tombe;
La moisson rit aux champs ou ralait l'hecatombe;
L'azur ne les voit plus pleurer les nouveau-nes,
Dans tous les innocents pressentir des damnes,
Et la pitie n'est plus leur unique attitude;
Ils re regardent plus la morne servitude
Tresser sa maille obscure a l'osier des berceaux.
L'homme aux fers, penetre du frisson des roseaux,
Est remplace par l'homme attendri, fort et calme;
La fonction du sceptre est faite par la palme;
Voici qu'enfin, o gloire! exauces dans leur voeu,
Ces etres, dieux pour nous, creatures pour Dieu,
Sont heureux, l'homme est bon, et sont fiers, l'homme est juste.
Les esprits purs, essaim de l'empyree auguste,
Devant ce globe obscur qui devient lumineux,
Ne sentent plus saigner l'amour qu'ils ont en eux;
Une clarte parait dans leur beau regard sombre;
Et l'archange commence a sourire dans l'ombre.
Ou va-t-il, ce navire? Il va, de jour vetu,
A l'avenir divin et pur, a la vertu,
A la science qu'on voit luire,
A la mort des fleaux, a l'oubli genereux,
A l'abondance, au calme, au rire, a l'homme heureux;
Il va, ce glorieux navire,
Au droit, a la raison, a la fraternite,
A la religieuse et sainte verite
Sans impostures et sans voiles,
A l'amour, sur les coeurs serrant son doux lien,
Au juste, au grand, au bon, au beau...--Vous voyez bien
Qu'en effet il monte aux etoiles!
Il porte l'homme a l'homme, et l'esprit a l'esprit.
Il civilise, o gloire! Il ruine, il fletrit
Tout l'affreux passe qui s'effare;
Il abolit la loi de fer, la loi de sang,
Les glaives, les carcans, l'esclavage, en passant
Dans les cieux comme une fanfare.
Il ramene au vrai ceux que le faux repoussa;
Il fait briller la foi dans l'oeil de Spinosa
Et l'espoir sur le front de Hobbe;
Il plane, rassurant, rechauffant, epanchant
Sur ce qui fut lugubre et ce qui fut mechant
Toute la clemence de l'aube.
Les vieux champs de bataille etaient la dans la nuit;
Il passe, et maintenant voila le jour qui luit
Sur ces grands charniers de l'histoire
Ou les siecles, penchant leur oeil triste et profond,
Venaient regarder l'ombre effroyable que font
Les deux ailes de la victoire.
Derriere lui, Cesar redevient homme; Eden
S'elargit sur l'Erebe, epanoui soudain;
Les ronces de lys sont couvertes;
Tout revient, tout renait; ce que la mort courbait
Refleurit dans la vie, et le bois du gibet
Jette, effraye, des branches vertes.
Le nuage, l'aurore aux candides fraicheurs,
L'aile de la colombe, et toutes les blancheurs,
Composent la-haut sa magie;
Derriere lui, pendant qu'il fuit vers la clarte,
Dans l'antique noirceur de la fatalite
Des lueurs de l'enfer rougie,
Dans ce brumeux chaos qui fut le monde ancien,
Ou l'allah turc s'accoude au sphinx egyptien,
Dans la seculaire gehenne,
Dans la Gomorrhe infame ou flambe un lac fumant,
Dans la foret du mal qu'eclairent vaguement
Les deux yeux fixes de la Haine,
Tombent, sechent, ainsi que des feuillages morts,
Et s'en vont la douleur, le peche, le remords,
La perversite lamentable,
Tout l'ancien joug, de reve et de crime forge,
Nemrod, Aron, la guerre avec le prejuge,
La boucherie avec l'etable!
Tous les spoliateurs et tous les corrupteurs
S'en vont; et les faux jours sur les fausses hauteurs;
Et le taureau d'airain qui beugle,
La hache, le billot, le bucher devorant,
Et le docteur versant l'erreur a l'ignorant,
Vil baton qui trompait l'aveugle!
Et tous ceux qui faisaient, au lieu de repentirs,
Un rire au prince avec les larmes des martyrs,
Et tous ces flatteurs des epees
Qui louaient le sultan, le maitre universel,
Et, pour assaisonner l'hymne, prenaient du sel
Dans le sac aux tetes coupees!
Les pestes, les forfaits, les cimiers fulgurants,
S'effacent, et la route ou marchaient les tyrans,
Belial roi, Dagon ministre,
Et l'epine, et la haie horrible du chemin
Ou l'homme du vieux monde et du vieux vice humain
Entend beler le bouc sinistre.
On voit luire partout les esprits sideraux;
On voit la fin du monstre et la fin du heros,
Et de l'athee et de l'augure,
La fin du conquerant, la fin du paria;
Et l'on voit lentement sortir Beccaria
De Dracon qui se transfigure.
On voit l'agneau sortir du dragon fabuleux,
La vierge de l'opprobre, et Marie aux yeux bleus
De la Venus prostituee;
Le blaspheme devient le psaume ardent et pur,
L'hymne prend, pour s'en faire autant d'ailes d'azur,
Tous les haillons de la huee.
Tout est sauve! La fleur, le printemps aromal,
L'eclosion du bien, l'ecroulement du mal,
Fetent dans sa course enchantee
Ce beau globe eclaireur, ce grand char curieux,
Qu'Empedocle, du fond des gouffres, suit des yeux,
Et, du haut des monts, Promethee!
Le jour s'est fait dans l'antre ou l'horreur s'accroupit.
En expirant, l'antique univers decrepit,
Larve a la prunelle ternie,
Gisant, et regardant le ciel noir s'etoiler,
A laisse cette sphere heureuse s'envoler
Des levres de son agonie.
Oh! ce navire fait le voyage sacre!
C'est l'ascension bleue a son premier degre,
Hors de l'antique et vil decombre,
Hors de la pesanteur, c'est l'avenir fonde;
C'est le destin de l'homme a la fin evade,
Qui leve l'ancre et sort de l'ombre!
Ce navire la-haut conclut le grand hymen,
Il mele presque a Dieu l'ame du genre humain.
Il voit l'insondable, il y touche;
Il est le vaste elan du progres vers le ciel;
Il est l'entree altiere et sainte du reel
Dans l'antique ideal farouche.
Oh! chacun de ses pas conquiert l'illimite!
Il est la joie; il est la paix; l'humanite
A trouve son organe immense;
Il vogue, usurpateur sacre, vainqueur beni,
Reculant chaque jour plus loin dans l'infini
Le point sombre ou l'homme commence.
Il laboure l'abime; il ouvre ces sillons
Ou croissaient l'ouragan, l'hiver, les tourbillons,
Les sifflements et les huees;
Grace a lui, la concorde est la gerbe des cieux;
Il va, fecondateur du ciel mysterieux,
Charrue auguste des nuees.
Il fait germer la vie humaine dans ces champs
Ou Dieu n'avait encor seme que des couchants
Et moissonne que des aurores;
Il entend, sous son vol qui fend les airs sereins,
Croitre et fremir partout les peuples souverains,
Ces immenses epis sonores!
Nef magique et supreme! elle a, rien qu'en marchant,
Change le cri terrestre en pur et joyeux chant,
Rajeuni les races fletries,
Etabli l'ordre vrai, montre le chemin sur,
Dieu juste! et fait entrer dans l'homme tant d'azur
Qu'elle a supprime les patries!
Faisant a l'homme avec le ciel une cite,
Une pensee avec toute l'immensite,
Elle abolit les vieilles regles;
Elle abaisse les monts, elle annule les tours,
Splendide, elle introduit les peuples, marcheurs lourds,
Dans la communion des aigles.
Elle a cette divine et chaste fonction
De composer la-haut l'unique nation,
A la fois derniere et premiere,
De promener l'essor dans le rayonnement,
Et de faire planer, ivre de firmament,
La liberte dans la lumiere. _
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